Dix ans de
déminage et d’autolégitimation
Le TàD a rapidement
trouvé son nom, en 2002, quelques semaines après sa naissance entre
les deux tours des élections présidentielles de 2002. Cette
référence au déminage vient d’un numéro de la revue
d’Ethnologie Française intitulé Terrains minés.
Le sens particulier et peu connu donné au mot « terrain »
en anthropologie, nous a parfois fait passés pour les membres d’une
ONG de déminage à proprement dit. Quant aux mines, elles se sont
avérées finalement assez différentes de celles énoncées dans la
revue scientifique et classée : nos terrains minés ne sont pas
ceux d’ethnologues qui travaillent dans la mafia ou au sein de
groupes sur-ethnographiés. Il s’agit bel et bien des terrains
académiques et universitaires qui nous ont fait croire comme le
reste de la société dominante que nous étions démunis à faire
des sciences sociales, que nous ne savions rien, n’étions bons à
rien d’autres qu’à potasser et chercher…du travail. Pour dire
vrai, au milieu de cette inertie pachydermique, certains
universitaires nous ont retournés la tête tout en cherchant à nous
titiller le bulbe militant. Ne mettons donc pas tout le monde dans le
même sac. Mais c’était comme si, une fois dans le système, ils
ne pouvaient plus faire ce qu’ils allaient nous amener à faire
avec le TàD. L’Université de Nice aura donc joué un grand rôle
dans cette association et son émancipation. Tout d’abord, ces
quelques enseignants. Ceux qui s’engageaient dans leurs disciplines
et leur transmission, qui y voyaient un sens politique.
Mais aussi ceux qui étaient au-delà de tout académisme. Croiser un
Claude Gaignebet
ou un Claude Alrancq sur sa route d’étudiant est aujourd’hui
inespéré. Le TàD est né de cette énergie militante mariée à la
soif de connaissance et au désir de rencontres, de transmission, de
fête. L’Université, et en particulier le Département de
sociologie et ethnologie, nous aura ensuite permis de vivre quelques
années de façon autonome. Grâce à un merveilleux acte de
piraterie, illégal mais ultra-légitime, notre jeune collectif
récupérait les papiers d’une association étudiante endormie,
ainsi que son compte en banque, tout cela en coupant du même coup
tout lien avec la grande institution. Le Département nous a réclamés
le remboursement de l’argent pendant plusieurs années. Nous avons
pu quant à nous tout dépenser, sans aucun projet d’avenir,
pendant deux années bien remplies : happenings, projections,
carnaval, apéros-débats… Tout cela n’aurait pas pu avoir le
jour également sans les Diables Bleus,
ce collectif mythique niçois, aujourd’hui invoqué par certains
allumés lors de la Santa Capelina.
Ils nous testèrent puis nous firent confiance, nous y allions
souvent, et certains de ces Diables sont venus ou revenus jusqu’à
la fac pour y décaler les choses avec nous. C’est par souci
démocratique, quelque peu nié à nos débuts presque staliniens,
que nous avons sensibilisé d’autres étudiants à nos actions.
Jusqu’à leur céder les rennes de l’entité mystérieuse. Le TàD
a connu alors une époque trouble de photocopies de cours de fac, de
conférences estudiantines, de recherche d’adhérents… Ce sérieux
nous a cependant valu l’honneur de collaborer avec une salle
niçoise engagée et de rencontrer Pierre Carles. Une belle leçon de
radicalité. Après des rencontres décisives et malgré la
dispersion de son personnel, le TàD s’extirpe du nouveau bureau
pour renouer avec ses premières amours et donc tisser avec les
nouvelles. L’équipe se dessine clairement. Les objectifs redéfinis
avec consensus. Les envies s’emballent. La plupart s’embarque au
même moment dans une thèse de doctorat. Précarité et
sous-estimation de soi tracent un cercle vicieux pour les désormais
« Tadettes ». La première anti-université d’été, en
2006, fera décoller la machine collective. Rien ne peut plus nous
arrêter. Si ce n’est l’argent, nos thèses, nos mecs, nos
enfants… mais non, on tient toujours bon. Cela grâce à notre
volonté mais surtout à des personnages-clés de notre parcours
sinueux et lent. Ara Nati et le Crieur Public de la Croix-Rousse,
deux mondes différents, se sont frottés à nous et nous ont permis
de faire que le TàD devienne lui-même. Qu’il sorte, qu’il se
montre, qu’il s’expose. Entre Noailles et la Croix-Rousse, ce
sont des révélations qu’ils ont suscitées au sein du collectif.
C’est en 2009 que Sainte Précaire a fait des apparitions, que
notre verbe s’est marié à la musique, que le pantai fut érigé
au rang de concept, que le théâtre nous a effleurés, et que le
TàDmag fut le plus distribué. Un homme de plus, le seul qui soit
resté Tadette plus d’un an, nous a lui aussi donnés confiance en
nous, il a offert une auto-légitimité au TàD, entre autres avec
ses marionnettes et le fanzine. Puis le TàD c’est aussi des
Tadettes, thésardes puis docteures, mamans puis salariées,
aventurières puis professionnelles. C’est aussi plusieurs
centres : Paris, Dunkerque, Marseille, Nice, Millau,
Montpellier. C’est des croisements avec d’autres collectifs comme
Clair de Terre et le CACA.
En 2011, après les prémices du TàDland en 2008, c’est le K-SOS
qui voit le jour. Un projet exclusif mobilisant le collectif dans son
entier, dans toute son ampleur. Le K-SOS nous permet de rencontrer un
saint Pierre, des théâtreux occitanophones, le Plus beau théâtre
du monde, la Manivelle, le ZinZan… Enfin une rencontre décisive
avec les Scop Le Pavé et Vent Debout nous fait prendre conscience
que notre action s’inscrit dans un champ partagé et ancré, celui
de l’éducation populaire. Nous l’ignorions, ou plutôt
devrais-je dire le savions-nous sans mettre des mots ou des
techniques explicites. Notre chemin vers l’auto-légitimation fut
un parcours semé de rencontres qui nous ont poussés à nous sentir
légitimes. Personne n’est jamais vraiment autodidacte. C’est la
somme de toutes ces influences qui nous ont fait et nous ferons
grandir encore.
UN NUMÉRO DOUBLE SUR LA LÉGITIMITÉ avec au sommaire :
- un poster détachable
- le courrier du lecteur
- la chronique du Pr Proutskaïa : "Molles ?"
- deux entretiens inédits de Tadettes (Anaïs et Marion), archives de 2006 !
- des contributions, exclusives ou pas, d'invités (Florent Charras, Claude Sicre, Natacha Trotsky, Tatiana Arfel...)
- un dossier spécial "Occitanique"
- le patrimoine caché du TàD
- rubrique "des armes des mots" : Ontologique
PRIX LIBRE !